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dominique de roux

  • Dominique de Roux : un aventurier de l’esprit...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Rémi Soulié, pour évoquer la figure de Dominique de Roux (1935-1977), écrivain, éditeur, baroudeur et auteur, notamment, du Cinquième Empire, reçoit :

    - Didier Da Silva, universitaire, auteur de Politique de Dominique de Roux (Au Signe de la Licorne),

    et

    - Olivier François, chroniqueur à Éléments et directeur du volume Dominique de Roux parmi nous (Pierre-Guillaume de Roux, 2018).

    On notera que Rémi Soulié a lui-même publié Les châteaux de glace de Dominique de Roux (Les Provinciales, 2002).

     

                            

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  • Renovatio Cloaca...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments, dans lequel il cingle la soumission à la bêtise gluante qui nous étouffe et en appelle à une grande aération...

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    Renovatio Cloaca

    Des remugles remuent dans la peine de l’aube, bien navrante, et je végète dans un cloaque d’ennui, et je ne suis pas seul. Je réclame du neuf ! Du neuf, du neuf ! Renovatio, etc. Mais le précepte « tenir bon » s’accroche à nos basques, comme un glaiseux qui suppure tantalesquement. « Et voici que je fais toutes choses nouvelles » ! Non ! Tu abomineras toute initiative, tout poil qui dépasse, hirsute, de cette face glabre que j’ai voulue pour toi, de toute éternité… Nous nous mouvons, en somme, dans la dimension du Temps, en plein cœur de la relativité générale qui nous restreint dans nos mouvements, même dans ceux de l’esprit. Et tout nous relativise : l’univers, l’espace-temps, Ségolène Royal en décongélation, Xavier Bertrand en fermentation, nos pulsions, nos motions, tout !

    Je vais vous dire ce que j’en pense : tenir bon c’est dangereux pour la santé du ciboulot. Pendant que les autres saccagent, soumissionnent pépère dans les colonnes de Libé, saluent les nouveaux maîtres débonnaires d’Alep qui distribuent chariatiquement des vivres aux habitants, vous tenez bon. Pendant que Marcon allocutionne sur le thème « C’est pas ma faute à moi », réminiscence de L.O.L.I.T.A., vous tenez bon ! C’est une posture épuisante, une claustration évidente. À ce rythme-là, nous finirons tous au cabanon. Tant va la cruche à l’eau… C’est terrible de voir à quel point les hommes, sous ce régime ramollissent, fondent, dégoulinent, s’oblitèrent dans les ondes, sont annihilés par cette tourbe, ingérés par le devenir-fourmilière du monde, et le blabla sonore, pontifiant-chiant, grotesquement collabo-pourri.

    Vous vous dites sûrement : « Une fois embastillé en HP, j’aurai tout loisir de me droguer, et à l’œil en plus ! » Sans doute, mais n’oubliez pas une chose : cette plantureuse infirmière que vous reluquez, dont les miches affriolantes vous émoustillent, n’a qu’une seule préoccupation en ce qui vous concerne : votre posologie. Pareille relation sédative ne peut vous combler. Elle vous prive du plus-que-vie fourni d’ordinaire par les liesses dionysiaques de la bagatelle. Et, dans ces endroits, il est interdit de se livrer aux charnelles effusions : c’est un axiome d’hygiène mentale. Demandez à Artaud. Je l’entends qui s’énerve, à l’écho lointain de Rodez : « Ceux qui font si bien des façons […] ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang dans l’époque, ceux dont les femmes parlent si bien […] qui parlent des courants de l’époque […], (vous) barbes d’ânes, cochons pertinents, maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-chaussée, herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue. »

    Ce qu’il faudrait

    Hegel, l’ogre à l’Absolu métaphysico-stomacal, tenait pour suffisant, en matière de réfutation d’une philosophie, le reproche qu’elle procure de l’ennui. Oui, bon sang ! Et Céline, sur ce chapitre, s’exprime tranquillement, ce qui n’est pas dans ses habitudes : « L’écueil c’est l’ennui. » Et de vous à moi, on se fait bien chier. Il faut le dire sans ambages. Une fois que c’est sorti, on se sent beaucoup mieux. On peut vaquer à ses occupations, checker ses mails, se préparer un latte Machiatto bien tarlousifiant. On peut ENFIN respirer.

    Dans sa monographie consacrée à Rabelais pour la collection Écrivains de toujours, Manuel de Diéguez déclare : « Vraiment, de toute notre histoire, le XVIe siècle est aujourd’hui le plus proche du nôtre : ce n’est pas une ombre que nous évoquerons en parlant de Rabelais. » Si l’analogie valait pour le XXe siècle auquel l’auteur fait référence, elle porte avec plus de vraisemblance encore s’agissant du XXIe siècle. En effet, nous vivons une époque de nouvelle scolastique, étriquée, insipide et fielleuse par-dessus le marché. Un nouveau Rabelais, déployant sa verve, entouré de ses géants rigolards, ne serait pas de trop pour enfoncer ces laquais de la non-pensée et démantibuler leurs sophismes dans une orgie de rires gargantuesques ! Hegel : « La vérité est le délire bachique où il n’y a pas un seul membre qui ne soit ivre. »

    Petit rappel, au passage, venant du napolitain Giambattista Vico : « Les peuples sont d’abord naturellement cruels ; ils deviennent ensuite sévères, puis bienveillants, délicats ; et enfin ils s’énervent. » En somme, on en a vraiment plein le cul. Pardonnez mon plagiat de Tyler Durden, c’est mon côté deleuzien, schyzo-analyste à mes heures perdues.

    Longtemps, si je me souviens bien, nous avons cru pouvoir dénoncer les truismes, aberrations, sophismes et absurdités, en un mot la Bêtise, escomptant sur ce vilipendage en règle pour se soustraire à son chancre érosif. Le temps, hélas, des Bouvard et Pécuchet bien indentifiables, est révolu. Et si c’était fini, me susurre à l’oreille le corbeau pique-assiette qui me dévore. Le tout, semble-t-il, et qui rassasie les fioles fragiles, c’est d’accoucher de conneries closes, comme il existe des maisons closes. Louer les pensées comme des catins, pour mieux les souiller, pour mieux s’en aller. Et se purger de l’esprit, de son résidu de pus. S’agenouiller, s’abêtir – bien en-deça du conseil pascalien et loin de ses objectifs d’automatisation sotériologique. La bêtise a essaimé. Elle s’est mise à migrer, à engloutir, à forclore, à tout circonscrire. La bêtise, le conformisme, la sclérose et l’atrophie mentale, la gangrène de l’animal-machine, le langage empaqueté, standardisé, calibré, sont autant de flux de néant à l’horizon de l’occident. Les abrutis sont légion, ils déambulent, zombifiés, grouillant en pur paître, patibulaires et satisfaits. Ils détiennent l’avenir, en sont les légataires-concessionnaires, exclusifs propriétaires.

    « C’est à cela même dont l’esprit se contente qu’on peut mesurer l’importance de sa perte. » Hegel, Phénoménologie de l’Esprit. La perte est grande, certes, mais l’idée de cette perte est minuscule, indiscernable, tant il va de soi qu’on ne saurait s’exprimer qu’en égrenant des évidences vides, des énoncés livides. La gauche et sa scolastique éculée, avenue de la post-modernité spongiforme, ne sont pas seules en cause. Il est par trop commode de projeter dans une altérité irréductible à soi, aussi hétérogène à soi que la presse française au souci de la vérité. Le mal qui nous ronge est en nous, hors et en nous, comme disait Pascal de Dieu. Oui, la bêtise est substance divine, omnipotente, omniprésente, omnichiante, franchement lassante. Elle est tout ce qui génère les formes mortes, contre lesquelles Dominique de Roux s’était insurgé, dans le sillage de Gombrowicz. Elle n’appartient à aucun camp politique, à aucune école philosophique. Elle est cette pâte à tout remodeler, qui, selon l’injonction paulinienne, ne fait pas acception des personnes. Tentaculaire et gluante, elle attend son magazine Pulp dédié. Divine anti-trinitaire, elle est un monothéisme très pur, sans dogme et pourtant munie d’un clergé se démultipliant comme les têtes de l’Hydre.

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 13 décembre 2024)

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  • Dominique de Roux et Céline...

    Les éditions de L'Herne viennent de rééditer le volume des Cahiers de L'Herne que Dominique de Roux avait consacré à Céline en 1963. Un ouvrage indispensable à tous les admirateurs de l'auteur du Voyage au bout de la nuit avec des textes de Marcel Aymé, André Brissaud, Lucien Rebatet, Jack Kerouac, Robert Faurisson, Michel Déon, Paul Morand et Pol Vandromme notamment.

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    " Ce Cahier, à travers l’abondante correspondance, les écrits inédits de l’Auteur, les témoignages et souvenirs de ceux qui le fréquentèrent et partagèrent son intimité, révèle des aspects inconnus de l’écrivain. Il rectifie également maints détails et apporte de nombreux éclaircissements sur son œuvre, sa personnalité, et ses idées. Les essais font la part belle au cas Céline, et tentent d’esquisser les contours de cet écrivain hors normes si complexe et si dérangeant ; depuis la révélation que constitua le Voyage au bout de la nuit sur le plan de la langue et du style, si radicalement nouveaux, jusqu’au scandale et à l’ostracisme suscités par les pamphlets et les déclarations antisémites. "

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  • Penser la nécessaire révolution conservatrice avec Soljenitsyne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux idées métapolitiques de Soljenitsyne.

    Philosophe et urbaniste, Pierre Le Vigan, qui vient de publier Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne, est également l'auteur de plusieurs essais comme Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022) et Le coma français (Perspectives libres, 2023).

     

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    Penser la nécessaire révolution conservatrice avec Soljenitsyne

    On connaît le titre d’un ouvrage de Rémi Brague : Modérément moderne. L’ouvrage ne vaut pas seulement par son titre, mais aussi par son contenu, notamment la dénonciation du « tout à l’ego », le règne de l’individualisme et du « quant à soi » (‘’tank à soi’’ dit Brague). Être modérément séduit par le paradigme moderne de la malléabilité infinie de l’homme, et du perfectionnement infini du monde, cela peut aussi se dire comme être modérément progressiste. Mais on peut le dire d’une façon moins réactive. Cela consiste à développer une critique conservatrice de la société actuelle.

    Levons une ambiguïté : cela ne consiste pas à conserver la société actuelle, auquel cas, pourquoi être critique ? Il s’agit de conserver ce qui mérite d’être conservé dans toute société, et que précisément la société actuelle détruit. « Vous ne posséderez rien et vous serez heureux », nous disent les promoteurs de la Grande Réinitialisation (great reset). C’est effectivement le projet ultra-moderne. Le projet des ultras de la modernité du libéralisme du Capital. Il s’agit de supprimer toutes les propriétés, sauf la propriété privée des moyens de production et d’échange (banque, institutions financières). C’est pourquoi  le conservatisme a désormais une tâche révolutionnaire, qui en est l’inverse. Pour sauver les libertés, et notamment les libertés de la personne, et celles d’être propriétaire, il faut mettre fin à la domination de l’économie, et à l’assujettissement aux puissances d’argent. Il faut pour cela restaurer le droit de propriété personnelle, et mettre fin à la propriété qui les détruit, à savoir la propriété privée des grands moyens de production et d’échange. Le choix n’est pas entre étatisation et propriété privée, même si l’étatisation peut être parfois préférable – à condition que l’État soit celui du peuple tout entier et connaisse une circulation des élites –, le choix est entre propriété privée et propriété collective, une nationalisation qui peut être publique sans être étatique, qui peut être une propriété communautaire, une propriété mutuelliste, une socialisation dont l’histoire montre des exemples (la Yougoslavie titiste ne fonctionnait pas si mal dans les années 60-70, le « socialisme de marché » de la Hongrie de la même époque, etc). Autant dire que la révolution conservatrice, pour conserver vraiment ce qui vaut éternellement de l’être, doit être vraiment révolutionnaire. Pour le dire autrement, modérément progressiste ne doit pas vouloir dire modérément socialiste.

    Le choc Soljenitsyne

    Mais notre propos va se situer en amont de cette nécessaire révolution conservatrice. Il s’agit de s’attacher à un tournant de la vie intellectuelle qui a été la réception de Soljenitsyne. Sa pensée et le choc de son témoignage ont fait effet peu de temps après Mai 68. Il en a dégrisé beaucoup du communisme, et de ses différentes variantes, se voulant toutes plus pures les unes que les autres, échappant à la « dégénérescence », à l’entropie. Ceci laisse bien sûr perplexe, tant de décennies après Boris Souvarine et d’autres  (tel Serge Chessin, La nuit qui vient de l’Orient, 1929). Mais beaucoup d’intellectuels de gauche sont restés en chemin, devenus anticommunistes mais restant progressistes (uniquement sociétalement), tandis que d’autres intellectuels devenaient « de droite », c’est-à-dire passaient du communisme frénétique à l’occidentalisme exacerbé, comme si l’addition de deux demi-vérités faisait une vérité. S’agissant des intellectuels sortis du communisme mais restés « de gauche » (comment ne pas mettre des guillemets à des catégories si changeantes ?), ils n’ont pas vu le danger du refus des transmissions, de la négation de notre histoire, de l’oubli de soi, de la négation du « droit des individus et des peuples à la continuité historique » (Bérénice Levet, « Soljenitsyne, penseur des limites », Figaro, 28 novembre 2018). Ces intellectuels n’ont pas remis en cause le refus des héritages, le mépris des continuités. Ils  n’ont pas estimé la valeur des attachements au patrimoine culturel et aux habitudes de sociabilité, ni vu la valeur de l’ « enracinement dynamique », comme l’ont promu Elisée Reclus, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Murray Bookchin. Pire, ils ont souvent estimé que l’oubli de soi, voire la haine de soi était le meilleur moyen d’éviter les totalitarismes. Ils ont survalorisé l’adolescence et refusé l’idée que les jeunes ont besoin, comme le dit Hannah Arendt, d’être « escortés » dans leur entrée dans la vie. 

    Le contraire d’une erreur n’est pas la vérité

    La leçon de Soljenitsyne était pourtant claire. La société soviétique était fondée sur une privation de liberté (elle ne se résumait évidemment pas à cela mais comportait cet élément fondateur). Mais le contraire d’une erreur n’est pas forcément la vérité. En d’autres termes, la liberté du « monde libre » n’est pas forcément la meilleure des libertés. Elle était même une fausse liberté – une liberté privée de sens. Elle reposait sur une fausse conception de l’homme. Elle était fondée sur une idée mutilée de l’homme. Le message de Soljenitsyne (Discours de Harvard sur « le déclin du courage », 1978) mettait en cause trois tendances qui caractérisent notre Occident, et le font, au sens propre, se coucher.  L’une était notre rapport avec nous-mêmes. C’est-à-dire la question anthropologique. Nous nous refusons à nous-mêmes toute sécurité culturelle, par mépris des permanences, des continuités, des transmissions, par « présentisme » (Pierre-André Taguieff) ou « nostrocentrisme » (Hans Blumenberg), ainsi que par haine du passé.  Deuxième danger : notre rapport à notre civilisation, et aux civilisations en général. Nous croyons que notre identité est d’appartenir au « monde libre », c’est-à-dire non communiste.  (Depuis 1990-91, les choses ont en fait peu changé : nous avons remplacé le monde communiste par « l’axe du mal », les pays « autoritaires », les régimes « illibéraux », ou « populistes » ou « nationalistes » et nous sommes toujours tout aussi persuadés d’appartenir au « camp du bien »). Nous nions nos spécificités culturelles, nos racines, et celles des autres, Nous croyons tous les peuples miscibles dans une « République » conçue comme une enveloppe universelle et non comme une forme historique donnée de la trajectoire de notre peuple. Troisième péril : nous refusons de penser notre rapport à la nature autrement que sur le monde de l’instrumentalisation et de la consommation d’espaces et de ressources.   Nous oublions que nous faisons partie de la nature et que la salir et gaspiller ses richesses, c’est nous salir et nous gaspiller nous-mêmes. Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver (elle durera plus longtemps que nous), c’est notre environnement. Voulons-nous avoir encore de la beauté à contempler et acceptons-nous de prendre notre place mais pas toute la place dans le système du vivant ? Autrement dit, appliquons-nous l’écologie à nous-mêmes en tant que partie intégrante du vivant ? Considérons-nous que notre envie de consommation doit avoir des bornes qui sont l’équilibre du vivant et le refus d’épuiser les ressources et les beautés de la planète ? « La domination du libéralisme libertaire, écrit Jean-Frédéric Poisson, désigne l’alliance de deux logiques qui plongent leurs racines dans une philosophie commune : le refus de la limite. Il s’agit d’une part de la contestation de toute forme d’autorité dans son principe et de la volonté de faire primer la liberté individuelle sur toute autre forme de considération, notamment collective et d’autre part, de la domination de la logique de marché et de consommation. » (entretien sur le site de Mayeul Jamin, etsictaitpossible.com, 15 novembre 2016).

    La fin de la loi naturelle et de la décence commune

    Plus de quarante-ans après le discours de Soljenitsyne, on ne peut que constater qu’il a dévoilé le vrai visage de notre monde.  Sa laideur ne se voyait pas encore pleinement, car ce monde était encore en partie enchâssé dans des structures mentales traditionnelles : le culte du progrès n’était pas encore déconnecté du goût du travail bien fait, l’appétit pour la liberté n’avait pas encore signifié la négation des invariants des sociétés humaines (ce que l’on pourrait appeler « la loi naturelle » – celle dont parle Pierre Manent -, ou la décence commune).  Depuis, nous avons fait du chemin. Nous avons avancé… vers l’arrière.   Nous sommes au temps des « hommes creux », comme disait Thomas Steams Eliot en 1925. Des hommes englués dans le présent, sans profondeur temporelle.

    Cet aplatissement du monde et de nos vies renvoie à la domination dans nos sociétés du droit et du marché (dont j’ai tracé la généalogie dans Le Grand Empêchement. Comment le libéralisme entrave nos peuples etdans Le Coma français). Le constat de Soljenitsyne rejoint celui que fera Jean-Claude Michéa. Quand les relations entre les individus relèvent principalement du droit, c’est que l’on ne fait plus appel aux vertus morales et sociales, à la décence ordinaire. De même, plus une société connaît l’ensauvagement, plus l’État se croit autorisé à multiplier les mesures de contrôle et de pistage de la population. Une société sans auto-régulation devient une société policière, une société de surveillance (comme l’a bien montré Guillaume Travers). La juridicisation des rapports humains aboutit à une inflation de droits et de lois. Les unes « microscopiques » concernant par exemple le « squatt dans les halls d’immeuble » : une façon de ne pas affronter le problème de l’économie de la drogue, les autres exorbitantes de toute décence, comme l’extension indéfinie du nombre de semaines de grossesse permettant d’avoir le droit d’avorter, par une mesure falsifiant l’esprit comme la lettre de la loi du 17 janvier 1975 (cf. Tribune collective, « IMG jusqu’au 9e mois pour ‘‘détresse psychosociale’’ : le danger d’un motif imprécis », Figaro, 12 août 2020).

    Omniprésence de la loi  

    Plus il y a de lois, plus une société renonce à produire des limites internes à ses dévoiements. On connaît la formule d’Albert Camus : « Un homme, ça s’empêche. » Plus l’empêchement face aux dérives de comportement relève de la loi et des pouvoirs publics, plus il déserte le cœur de l’homme. Moins on en demande à l’homme, moins il exige de lui-même, et moins il donne à la société. Une société sans autre droit que « le droit du Parti » (communiste ou nazi) est invivable. Mais une société dans laquelle le seul parti est le « Parti des ayants droits » est tout aussi invivable. « Le droit est trop froid et trop formel pour exercer sur la société une influence bénéfique. Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports juridiques, il se crée une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie les meilleurs élans de l’homme », note Soljenitsyne. Le droit ne suffit donc pas. Trop de droit contribue même à ce que Cynthia Fleury a appelé « la fin du courage » (Fayard, 2010). Le courage s’exprime quand on se place au-delà du ressentiment, et au-delà des états du droit tel que l’ « état d’urgence ». Le courage est un état d’esprit, et non une procédure juridique. Le courage est une forme nécessaire du lien social qu’aucun pacte juridique ne saurait remplacer. Le courage n’est pas un devoir juridique mais un devoir éthique. Il s’agit d’être fidèle à l’idée que nous avons de nous-mêmes. « Il me semble, écrit Paul-Marie Couteaux, que l’on ne fait des choses sur la terre qu’au nom et en mémoire de ce que nous sommes (…) »  (in Qu’est-ce que la France ? dir. Alain Finkielkraut, Folio-Gallimard, 2007). Vérité profonde qu’exprime de son côté Slobodan Despot de la façon suivante : « Nous faisons plus de bien par ce que nous sommes que parce que nous faisons. » On est courageux – ou pas – pour défendre son identité, et pour survivre physiquement et moralement. D’où l’expression, en désuétude, de « défendre son honneur ». « Une société, écrit encore Soljenitsyne, qui s’est installée sur le terrain de la loi, sans vouloir aller plus haut, n’utilise que faiblement les facultés les plus élevées de l’homme. »  C’est contre cet esprit du temps (Zeitgeist) qu’il faut se dresser, tout comme l’avait fait Hannah Arendt, et des écrivains aussi inclassables que majeurs tels Montherlant, Ernst Jünger, Dominique de Roux.

    Contre la bassesse et la médiocrité

    La force de Soljenitsyne est qu’il n’a jamais réduit le mal au communisme. Le mal n’est pas seulement la cruauté, ou la barbarie, mais est aussi la bassesse et la médiocrité (« En prison pour médiocrité », dit Montherlant). Le mal est ainsi une question qui se pose dans toutes les sociétés.   «  (…) la ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme […] Au fil de la vie, cette ligne se déplace à l’intérieur du cœur, tantôt repoussée par la joie du mal, tantôt faisant place à l’éclosion du bien. », dit Soljenitsyne dans L’Archipel du Goulag. Il en est de même pour la ligne de partage entre le haut et le bas. Ce qui veut dire qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour avoir à entendre ce que nous dit Soljenitsyne (mais être chrétien n’interdit nullement de le comprendre, voire en donne peut-être une compréhension plus immédiate). En effet, l’homme est-il faillible, est-il susceptible d’être aspiré vers le bas, vers le médiocre uniquement parce qu’il est une créature, inférieure par définition à son créateur ? C’est la vision chrétienne. Tout dépend de ce que l’on appelle créature. On peut très bien considérer que l’homme est une création de la matière, est de la matière complexifiée, un stade supérieur de l’évolution du vivant, et que du reste, le vivant, le cosmos, la matière sont incréés. Le rapport entre créature et créateur est donc sans objet. Dans ce cas, quand on a cette vision du monde, cela ne veut pas dire que l’on pense que l’homme puisse tout se permettre. Cela ne veut surtout pas dire que l’homme n’ait pas à distinguer entre le haut et le bas. Et l’enjeu est d’autant plus fort qu’il se situe en dehors de toute théologie. L’homme doit choisir à partir de lui-même, sans se référer à une instance extérieure. Il n’y a pas de transcendance extérieure à l’homme.  C’est à l’homme de construire sa propre échelle de valeur. C’est précisément dans une vision non désiste du monde, d’un monde auto-créé (ou incréé), que se ressent le mieux la fragilité du vivant, la fragilité de sa beauté, et la responsabilité de l’homme, en tant qu’il est « poussière d’étoile », issu, au sens propre, de la matière  première du monde. L’homme a des devoirs vis-à-vis du monde en tant qu’être de sensation et d’intelligence, à la pointe du vivant. Et donc berger de l’être (Heidegger, Lettre sur l’humanisme, 1947). Berger et médiateur entre la terre et le ciel, entre les mortels et les dieux (les « dieux » n’existent évidemment pas, mais sont les allégories du sacré qui existe dans le monde tel que les hommes le mettent en perspective tant qu’ils sont des hommes. Pour le dire autrement, quand l’homme ne produira plus de sacré, il aura cessé d’être un  homme, hypothèse que l’on ne peut nullement exclure. Dés lors, quand l’homme est mort, tout est permis).

    C’est précisément parce que nous faisons partie du cosmos  que nous sommes en devoir de tracer des limites, et de nous tracer des limites. « Tout est possible », pensent les Modernes, et, au premier rang d’entre eux, ceux qui croient avoir découvert une vérité universelle : l’existence d’une race supérieure, d’un peuple élu, ou d’une idée rédemptrice comme le communisme. « Tout ce qui est possible n’est pas souhaitable », pensent au contraire les antimodernes. Si le possible nous abaisse, il faut lui tourner le dos. Plus d’accumulation pour plus d’uniformisation, ce n’est pas le bon chemin. Il faut préserver notre environnement – rien d’autre que le cosmos – de nos appétits de toujours plus de croissance. Athéna n’était pas seulement une déesse de la guerre. Elle était aussi une déesse des limites dans la guerre : ni pillage ni massacres gratuits. Refus de l’hubris. « Celui qui reconnaît consciemment ses limites est le plus proche de la perfection », dit Goethe.

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 19 avril 2024)

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  • Vagabondages littéraires...

    Les éditions Auda Isarn viennent de publier sous le titre de Vagabondages littéraires, un recueil de chroniques de Michel Marmin.

    Journaliste, critique cinématographique et littéraire, Michel Marmin a dirigé pendant de nombreuses années la rédaction de la revue Eléments et est aussi l'auteur de plusieurs essais sur le cinéma, dont, notamment, une biographie de Fritz Lang (Pardès, 2005), ainsi que de recueils de poésie, comme Chemins de Damas et d’ailleurs (Auda Isarn, 2018) ou Pour Aliénor (Arcades Ambo, 2022). On peut découvrir le parcours de l'auteur dans un livre d'entretien avec Ludovic MaubreuilLa République n'a pas besoin de savants (Pierre-Guillaume de Roux, 2017).

     

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    " Des Hussards à Patrice Jean, de Dominique de Roux à Richard Millet, de Louis-Ferdinand Céline à Jean Cau, de Gabriel Matzneff à Jean-Pierre Montal, de Jean Parvulesco à Jean-Benoît Puech, d’André Fraigneau à Michel Mourlet, d’Hergé à Olivier Mathieu, ces Vagabondages littéraires illustrent une évidence soigneusement occultée par ceux qui, en France, détiennent les clés du pouvoir culturel : la grande littérature française, depuis la Seconde Guerre mondiale, est nécessairement de droite. Et cela parce que les vertus cardinales de la droite sont la liberté et le style, le refus de l’inféodation à quelque catéchisme que ce soit, le goût de la beauté et de la singularité.

    Ces écrivains, dont beaucoup ont été les commensaux de Michel Marmin, nous invitent à redresser la tête face à la conjuration ignominieuse de tout ce qui, dans les médias, dans les ministères et dans les conseils d’administration, veut en finir avec la civilisation française, mais aussi avec le simple plaisir de la lecture sans lequel il ne saurait, justement, y avoir de grande littérature ! Alors ces chroniques roboratives pourraient bien constituer des armes de précision dans la guerre culturelle qui nous est imposée. "

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  • Pour découvrir Dominique de Roux...

    Le 8 janvier 2019, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Olivier François, pour évoquer la figure de Dominique de Roux, écrivain, pamphlétaire et aventurier, à l'occasion de la sortie de l'ouvrage collectif qui lui est consacré, intitulé Dominique de Roux parmi nous (Pierre-Guillaume de Roux, 2018).

     

     

                                   

     

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